S’offrir à l’Amour Miséricordieux de Dieu : une expérience au quotidien selon le Père Gabriel MARTIN

            Introduction

En 1897, un an et demi après avoir reçu la grâce de s’offrir à l’Amour Miséricordieux, Ste Thérèse s’adressant à Jésus exprime ainsi son désir à la fin de son Ms B 5v° : « Je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes… Je te supplie de choisir une légion de petites victimes dignes de ton AMOUR !… »

Le Père Gabriel Martin peut être considéré nous semble-t-il, comme l’une de ces petites victimes. Bien qu’ils n’aient aucun lien de famille, ce prêtre diocésain, missionnaire, vendéen porte le même nom, et voit le jour la même année que Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus !

Sa rencontre avec celle qui n’est à l’époque (1908) que Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, va l’entraîner dans une aventure spirituelle qui bouleversa sa vie toute entière de prêtre, de missionnaire et va faire de lui le fondateur d’une Œuvre particulière de Miséricorde : la Congrégation des Sœurs Oblates de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Le Père Martin a été l’un des premiers interprètes de la spiritualité de Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, reconnu par Mère Agnès de Jésus. Il a assuré les prédications de la béatification et de la canonisation de Thérèse. Cependant, il était avant tout un homme d’action plus qu’un théologien. Il demeure que son analyse est intéressante et demeure pertinente parce qu’elle est enracinée dans son expérience spirituelle.

Il va l’écrire dans un livre intitulé « Pour aimer le bon Dieu comme Ste Thérèse ».

  1. le Père Gabriel Martin 

I.1 Sa rencontre et sa relation avec Soeur Thérèse

Ceux qui l’ont connu le décrivent comme un orateur, un missionnaire prêt à témoigner de sa foi jusqu’au don total, un pasteur zélé, qui veut convertir les âmes.

En 1908, ce pasteur, qui est né dans la région vendéenne très pratiquante, découvre le Sud-Vendée, une région « glacée par l’indifférence religieuse« , selon ses propres mots. Il est saisi par la situation de cette population qui se préoccupe si peu de Dieu, blessé par cet amour de Dieu méconnu.  Il l’est d’autant plus, qu’à cette même période il découvre dans une brochure, la vie d’une carmélite : « Thérèse Martin », Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, elle aussi profondément habitée par la soif de Jésus d’être aimé, et le désir de sauver les pécheurs.

Dans son journal intime, le P. Martin écrit le 28 février 1908 :

…. « Je regarde présentement comme une très grande grâce d’avoir lié connaissance avec la « petite Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus ».

Il y a peu de jours que je connais quelque chose de sa vie et déjà j’ai senti l’accomplissement de la promesse qu’elle faisait peu de temps avant de mourir : ‘je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre. Je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime… de donner ma petite voie aux âmes… » Cette voie, c’est le chemin de la confiance et du total abandon ! » Sa « petite voie », Sr Thérèse de l’Enfant-Jésus l’a résumée dans ces mots : « Vivre d’amour ».

Peu de jours après, ayant en main l’Histoire d’une âme, il découvre que Sr Thérèse aurait bien désiré avoir un frère prêtre. Elle n’en eut point selon la nature. Mais la Providence lui en envoya deux qui devinrent ses frères selon la grâce : deux missionnaires.

Le Père Martin est touché par les lettres qu’elle leur adresse et pense que si Sr Thérèse prie pour les missionnaires qui sont hors de leur pays, elle doit aussi avoir une attention pour ceux qui sont en France. Pourquoi ne deviendrait-elle pas la sœur qu’il n’a pas eue ?

 Le 10 mars, il prie ainsi pour « demander à Notre Seigneur s’il lui serait agréable que je considère désormais Sr Thérèse de l’Enfant-Jésus comme ma sœur du ciel« . Il fait cette même demande à Sr Thérèse elle-même.

Au cours de sa prière, il se sent poussé à ouvrir l« Histoire d’une âme » à la page 357. Il dit : « J’ouvris donc à cette page qui se trouve au milieu des lettres écrites par Thérèse de l’Enfant-Jésus. Et quel ne fut pas mon plaisir d’y lire en tête, ces mots écrits en grosses lettres : « A ses frères missionnaires. » 

Voilà la réponse !  » Je compris que Sr Thérèse m’acceptait pour son frère« . Bouleversé par ce qui lui arrive, le P. Martin poursuit sa lecture et il trouve dans les écrits de sa sœur  » une onction et une suavité qui pénètrent jusqu’aux moelles de l’âme. Et pendant que je lis, dit-il, j’ai comme l’impression que du haut du ciel elle prie pour moi celle qui est partie en disant: Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre« [1].

I.2 Son chemin spirituel

            Le Père Martin commence alors un nouveau chemin spirituel. C’est en approfondissant la signification des liens de Sr Thérèse à ses frères que sa relation avec elle prend sens et transforme profondément sa relation à Dieu et sa vie apostolique. Que retient-il de cette relation ?

  • c’est une relation fraternelle pour travailler au salut des âmes
  • en se laissant embraser d’amour
  • pour combattre dans la plaine, là où le bon Dieu n’est pas connu, ni aimé
  • et devenir un saint, « afin de vivre dans un acte de parfait amour »

Connaissant son zèle pour travailler à convertir les pécheurs, il n’a pu qu’être saisi par ce désir brûlant de Sœur Thérèse. Il le partage, et désormais avec elle, il désire sauver des âmes. Il se sent rejoint dans ses propres aspirations missionnaires : Sœur Thérèse est au Carmel et lui dans les champs de la mission.

Sœur Thérèse désirait que ses frères, tout comme elles, soient embrasés du feu de l’amour pour l’allumer dans les cœurs[2]. En lisant les pages enflammées d’amour de sa sœur du Ciel, le Père Martin  découvre que le cœur de l’Eglise est brûlant d’amour, que l’amour seul fait agir les missionnaires. Il entre alors dans une nouvelle perspective apostolique. Lui aussi va tenter désormais de vivre sa vocation comme une mission d’amour « au cœur de l’Eglise« . Nous sommes au début du XXème siècle, et comme Soeur Thérèse, le Père Martin va se démarquer du jansénisme ambiant.

            Tout d’abord, pour faire œuvre de salut avec le Christ, cela suppose, dit-il de devenir des saints. 

Comme Soeur Thérèse, le Père Martin a de grands désirs de sainteté, certes. Mais il semble toujours déçu de sa vie spirituelle, et déplore que ses désirs « le plus souvent n’aboutissent à rien ». Pour autant, il ne se laisse pas abattre :

« Car je me dis que le bon Dieu, qui aime à tirer le bien du mal, n’a jamais eu meilleure occasion de montrer sa puissance… et je voudrais tant qu’il profitât de l’occasion que je lui offre ! ». Soeur Thérèse lui ouvre alors un chemin : « Cette voie « , c’est le chemin de la confiance et du total abandon » ! » (Cahiers Spirituels)

Sœur Thérèse ne doute pas que ses frères sont appelés à la sainteté tout comme elle. De même qu’elle l’a fait pour ses frères missionnaires, Sœur Thérèse entraîne le Père Martin à regarder un Dieu qui n’est qu' »Amour et Miséricorde« [3]. En Jésus, Dieu s’abaisse vers chacun d’eux pour les revêtir de sa propre sainteté. Sœur Thérèse lui apprend à se démettre de lui-même pour s’en remettre à Jésus qui Lui, le fera saint.  Voilà une nouvelle lumière pour le Père Martin. Quelques semaines après, il écrit dans son journal :

« …il y a quelque chose de changé en moi (…) … non seulement je suis porté à me mortifier, à me vaincre, à pratiquer les petites vertus : patience, douceur, humilité (…), mais de plus, j’éprouve une paix profonde, qui ne repose point sur le bien que je crois faire, au contraire, j’ai surtout le sentiment et l’évidence de mon absolue impuissance et de ma misère, mais qui se fonde uniquement sur la bonté et la miséricorde de Dieu » [4].

Sa vie missionnaire est bouleversée. Lui qui jusqu’alors était un prédicateur de la justice divine, devient un ambassadeur de l’Amour Miséricordieux.

Son volontarisme anxieux par souci de sanctification personnelle devient lâcher-prise et remise de soi à Dieu. Son projet missionnaire change de dynamique et de perspective : il ne cherche plus la conversion des pécheurs pour leur éviter l’enfer, mais il désire aimer Jésus et le faire aimer.

Il se sent porté à s’offrir lui-même à l’Amour Miséricordieux. Lui qui jusqu’alors offrait au Seigneur ses actions et ses peines, n’a plus qu’un désir, offrir sa vie :

« Mon idée, mon désir d’être « victime d’amour » persiste toujours plus fort que jamais. Ce ne sont point de grands élans ni de tendres aspirations mais un désir constant, calme, tranquille, qui, en même temps qu’il se fortifie, m’établit dans une paix de plus en plus profonde. Devenir une victime d’amour, un « prêtre de feu », être embrasé de l’amour de Jésus et en embraser le monde : (…) devenir moi-même un saint … Dépenser tout ce que j’ai et me dépenser moi-même sans réserve, sans compter, toujours… pour établir le règne de Jésus sur la terre, dans les âmes, travailler ainsi, prier, prêcher, confesser, souffrir pour Jésus et puis mourir ! Mourir d’amour, après avoir vécu d’amour. Est-ce là, ô mon Dieu, ce que vous attendez de moi ! Ce que vous voulez de moi ? » (C.S.)

Au fil des années, l’Offrande à l’Amour Miséricordieux de Soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus devient une des pièces maîtresses de la spiritualité du Père Martin, une lumière qui donne un sens nouveau à sa vie, une grâce qu’il va chercher à approfondir pour mieux comprendre et progresser dans son élan et faire de sa vie un acte de parfait amour.

  1. Sa compréhension de l’offrande de soi-meme

                        II.1 Deux précisions

  1. D’une part, pour le Père Martin, dans la petite voie d’enfance spirituelle, l’acte d’offrande comme victime d’holocauste à l’Amour Miséricordieux du bon Dieu, vient comme une application pratique de la Voie d’Enfance Spirituelle, en couronnement d’une vie d’amour.
    « L’offrande n’est pas un faîtage que l’on superpose à un édifice de sainteté déjà, par ailleurs, entièrement achevé. Il aide à la construction même de l’édifice. Il contribue, et de quelle manière efficace, à lui donner une ampleur et une élévation que, en son absence, celui-ci n’atteindrait sans doute jamais. Il donne à la perfection d’une âme son caractère propre en l’établissant d’une façon durable dans l’état de victime d’amour » [5].

2.D’autre part, il relève que « cet acte convient tout particulièrement aux « petites âmes », c’est-à-dire celles qui à la lumière de la vérité, se voient impuissantes par elles-mêmes à tout bien, pauvres, sans forces et sans doute encore très imparfaites.

Pourquoi ? Il s’en explique : « nul plus qu’elles n’a besoin de pitié, de secours et par conséquent de miséricorde et de tendresse. »

Or, l’acte d’offrande dont il s’agit a précisément pour effet d’attirer sur une âme « les flots de tendresse infinie qui sont renfermés dans le cœur de Dieu » et de répandre à profusion sur elle les inépuisables trésors de son miséricordieux amour. »

Pour que cette offrande réjouisse le cœur de Dieu et porte du fruit, le Père Martin note quelques conditions :

                        II.2 Quatre conditions

  • Le désir

« C’est extrêmement simple, puisque Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus nous assure que « pour aimer Jésus, être sa victime d’amour… le seul désir d’être victime suffit ». C’est donc simple !

Thérèse nous montre que les flots de tendresse infinie enfermés dans le cœur de Dieu et prêts à en déborder, sont l’expression de cet Amour que Dieu est impatient de communiquer.

L’Amour Miséricordieux emplira le cœur dans toute la mesure de sa capacité présente. Petite ou grande, celle-ci sera toujours et sur-le-champ comblée. (cf MsA 19v° la comparaison de Thérèse entre la contenance du petit dé et du grand verre à Papa)

  • La petitesse

Le Père Martin met en garde face à d’éventuelles illusions.

            D’une part, l’Amour Miséricordieux peut opérer son œuvre sans que la sensibilité s’en aperçoive, c’est-à-dire sans qu’on n’éprouve ni joie, ni consolations sensibles.

Et d’autre part, l’offrande de soi sincère et qui réjouit le cœur de Dieu, n’a pas nécessairement pour effet d’enlever à l’âme ses imperfections, ni de lui imprimer automatiquement une plus grande ardeur spirituelle, ni de la munir à ce point de force surnaturelle qui la dispenserait de tout effort, de toute souffrance sur le chemin de la sainteté et aplanirait toute difficulté.

Pour illustrer ces mises en garde, le Père Martin se réfère à la lettre LT 197 de Ste Thérèse :

« … il faut consentir à rester toujours pauvre et sans force, et voilà le difficile, car, le véritable pauvre d’esprit, où le trouver ? Elle explique : « II ne dit pas qu’il faut le chercher parmi les grandes âmes, mais bien loin, c’est-à-dire dans la bassesse, dans le néant. »

Et Ste Thérèse conclut : « Ah ! Restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir ; alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus viendra nous chercher si loin que nous soyons ; il nous transformera en flammes d’amour. »

Il faut donc qu’une victime de l’Amour Miséricordieux consente à rester toujours pauvre et sans force. D’ailleurs il ne dépend pas d’elle qu’il en soit autrement. Si Dieu la veut ainsi et l’aime ainsi dans sa situation de pauvreté et sans force, c’est parce qu’alors il peut opérer tout seul et plus librement, en elle, l’œuvre de sa divine miséricorde.

  • La volonté

Ce qui dépend de l’âme, c’est sa volonté. Par cette volonté, elle est libre de s’offrir ou non, de s’offrir avec ou sans réserve.

Or, ce qu’il importe de remarquer à cet égard, c’est que, pour « être véritablement victime d’amour, il faut se livrer totalement. On n’est consumé par l’amour qu’autant qu’on se livre à l’amour.6»
« Totalement », cela veut dire sans réserve ; c’est l’être tout entier qu’il faut, par l’acte d’offrande, livrer à l’amour. L’être tout entier, cela veut dire l’âme et le corps.

  • L’abandon

Pour le Père Martin, l’état de l’âme comme victime est lié à l’état d’abandon.

Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus a défini sa « Petite Voie » comme le chemin de la confiance et du total abandon. Et ce n’est pas étonnant, puisque « seul l’abandon livre une âme entre les bras de Jésus » (cf PN 52,7).

L’abandon consiste à consentir à toutes les réalités du quotidien qui se présentent :

Qu’elles soient gratifiantes pour nous, tant mieux ! Cependant, ne nous en glorifions pas, elles pourraient nous enfermer, mais offrons-les plutôt à Celui qui est la Source de toute grâce.

Si ces réalités sont plus éprouvantes, veillons à ne pas les nier ou les fuir : le travail, les efforts, la fatigue ou l’épuisement, la souffrance, les tentations, les épreuves de toutes sortes, les obscurités, etc., toutes choses bonnes, utiles et même nécessaires, qu’il s’agit d’accepter sans résistance, paisiblement et, s’il se peut, joyeusement, voyant surtout dans ces épines, des fleurs d’amour à cueillir pour son plaisir.

En conséquence, celui qui aspire à être véritablement victime d’amour doit abdiquer entre les mains de Jésus, toute sa volonté, pour n’en avoir plus d’autre que la sienne, toutes ses préférences, de façon à ne plus rien désirer que ce qui doit réjouir et contenter Jésus et ainsi se laisser transformer en une pure et vive flamme d’amour.

Il est besoin pour cela de beaucoup d’esprit de foi et d’attention vigilante. C’est pourquoi la vie de victime d’amour suppose une vie intérieure sérieuse, l’habitude de la prière silencieuse, de la méditation.

De même que Ste Thérèse n’a pu s’empêcher d’entraîner Céline à s’offrir avec elle, de même le Père Martin s’est senti appelé à communiquer à son tour son expérience, et à la transmettre au travers d’une Œuvre de Miséricorde.

III. Le Pere Martin – Fondateur d’une Œuvre de Miséricorde

Cette Œuvre n’est autre qu’un Institut Religieux de vie apostolique-Victime d’Holocauste : les Sœurs Oblates de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus.

En 1926, le Père Gabriel Martin, écrivait : « de petites âmes Missionnaires de l’Amour Miséricordieux ! Oui, c’est bien sous cet aspect que l’œuvre m’apparaît d’une façon définitive. (…) Par conséquent, des âmes marchant par la Petite Voie d’Enfance, et offertes en Victimes d’Holocauste à l’Amour miséricordieux du Bon Dieu » (Texte Fondateur)

L’Offrande à l’Amour Miséricordieux, écrite par Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Ste Face, fait donc partie du fondement même de la Congrégation.

Deux mois avant sa mort, Ste Thérèse a ces paroles aux consonnances prophétiques :
« Je sens …que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes[6]Le Bon Dieu ne me donnerait pas ce désir de faire du bien sur la terre après ma mort, s’il ne voulait pas le réaliser… »[7]

Au soir de sa vie, reprenant cette parole de Ste Thérèse, le Père Martin rappellera aux Sœurs Oblates :
« C’est… de ce sublime désir de notre chère Sainte, que votre Congrégation est née…

Ce qui vous est propre et personnel à vous, Oblates de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est que vous êtes plus spécialement l’œuvre de l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu. L’Amour Miséricordieux est devenu le phare étincelant à la lumière duquel doit toujours s’orienter votre barque, votre Congrégation[8]. »

Cette offrande est d’abord communautaire.

                        III.1 Une Offrande communautaire pour être l’œuvre de l’Amour Miséricordieux

« A l’exemple de leur Sainte Patronne et en union avec elle, les Oblates s’offrent comme Victimes à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu. (…) non seulement chacune pour son compte, mais aussi toutes ensemble, collectivement, de manière à ce que la Congrégation des Oblates toute entière soit vraiment (…) la Société-Victime de l’Amour Miséricordieux.

Nées d’un grand dessein de miséricorde de la part de Dieu, les futures Sœurs seront: « de petites âmes missionnaires de l’Amour Miséricordieux … offertes à l’Amour pour l’honorer, l’attirer à elles et l’aide à se répandre sur le monde, continuant ainsi la Mission de notre chère Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. » [9]

Sœurs pour la vie, nous formons un Corps Apostolique Vivant, où chaque membre est nécessaire à l’autre. Notre Offrande à l’Amour Miséricordieux nous lie les unes aux autres et fonde notre vie fraternelle.

Nous demandons au Seigneur de consumer les germes de division et de faire croître l’Amour- Communion. Nous nous engageons dans un chemin de fidélité et de confiance les unes envers les autres, sûres de la fidélité aimante de Dieu envers chacune de nous.

Dans le quotidien de nos journées, de nos relations, nous tentons de vivre l’hymne à l’Amour chanté par Saint Paul dans la 1ère lettre aux Corinthiens[10].  Ces gestes d’amour fraternels offerts au Christ, comme Ste Thérèse nous apprend à le faire, deviennent grâces de fraternité et de communion pour le monde.

En nous offrant en Congrégation nous signifions par là notre désir d’être ensemble missionnaires de l’Amour au cœur du monde ; et ensemble nous portons la vie des hommes et des femmes dans notre offrande devant le Seigneur et en Lui.

                        III.2. Une Offrande unie à l’offrande du Christ

« L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus, nous rappelle Benoit XVI, nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande »[11].  
L’Eucharistie se vit en Eglise, formant le Corps du Christ. Il en est de même pour l’offrande de soi-même. Elle s’accomplit en Eglise, s’unissant à l’offrande du Christ. Ainsi, l’offrande de nous-mêmes ne peut s’accomplir qu’au sein du Corps que nous formons en Eglise, et tout particulièrement au moment de l’Eucharistie chaque fois que cela est possible.

            Que demande Thérèse dans son Offrande ? Elle demande au Seigneur de prendre possession de mon âme, et juste après :
« Restez en moi, comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie ». Elle demande en fait la prise de possession d’elle-même par Celui qui se donne en son corps et son sang pour transformer celui qui communie en lui-même. Cf PN 40,6

S’offrir à l’Amour après avoir reçu Celui qui se donne à nous dans l’Eucharistie est une réponse d’amour et de disponibilité à la grâce.

Toutefois, cette oblation ne se limite pas à la célébration eucharistique, elle doit irriguer toute l’existence. Dans son cheminement spirituel, un an et demi après son Offrande, Thérèse trouve enfin sa place dans l’Eglise : « Ma vocation enfin je l’ai trouvée, ma vocation c’est l’amour. » Tout le Manuscrit B peut être considéré comme un fruit de cette offrande.

                        III.3 Une Offrande pour la mission au cœur de l’Eglise.

Le Père Martin le précise en ces termes :

« Dans le cœur de l’Eglise, vous devez être l’Amour, c’est de cette manière que vous aiderez le plus efficacement les prêtres, les missionnaires, toute l’Eglise… »[12]. Etablies dans la Plaine comme de petits foyers d’amour, pour y aimer le Bon Dieu pour ceux qui ne l’aiment pas. « 

Dès le début de son Offrande, Ste Thérèse exprime son désir de « travailler à la glorification de la Sainte Eglise ». Elle n’est donc pas dans une démarche intimiste où il n’y aurait qu’elle et son Dieu !

Par ailleurs, Ste Thérèse nous rappelle, l’essentiel de la dynamique missionnaire : c’est par notre propre conversion, toujours à reprendre, en nous laissant consumer par cet Amour Miséricordieux, que nous pourrons entraîner les âmes vers le Seigneur. Ainsi l’explique-t-elle à la fin de son manuscrit C par son expression inspirée du Cantique des cantiques : « Attirez-moi, nous courrons ». (Ms C, 35v°) Ce que le Pape François reprend sous l’expression : « l’évangélisation par attraction » dans l’Exhortation, C’est la confiance, N°10.

Le Père Martin ne désire rien d’autre pour les Sœurs Oblates de Ste Thérèse :

 « La flamme ne peut monter sans s’étendre. Ainsi l’amour ne peut jaillir vers Dieu sans embraser le prochain. Par le fait même de son ardeur, il devient le zèle. Le zèle est à l’amour ce que la flamme est au feu (…) Les Sœurs le répandent non seulement sur les âmes qu’elles approchent de plus près, mais sur l’Eglise tout entière. Car le cœur n’attire pas le sang à lui pour le garder, mais pour le répandre dans tout le corps. Malheur à lui et malheur au corps s’il essayait de le retenir ; il en périrait ! » (T.F.). 

Ainsi, en posant pour fondement l’Acte d’Offrande de Ste Thérèse à la Congrégation des Sœurs Oblates, le Père Martin lui a donné une dynamique missionnaire très claire :

« Vous êtes les apôtres du Divin Amour : vous êtes faites pour faire rayonner l’amour… que tel soit le but de toutes vos entreprises, de toutes vos démarches et de toutes vos œuvres… »             

                        III.4 Une Offrande renouvelée à chaque battement du cœur

Le Père Martin a désiré que nous renouvelions chaque jour notre Offrande, « pour attirer à vous cette plénitude d’amour, pour aimer le Bon Dieu comme Ste Thérèse l’aima » (T.F.)

Ste Thérèse, elle-même dans sa prière, nous entraîne à renouveler son Offrande à chaque battement du cœur, et « un nombre infini de fois », le suppliant de nous consumer sans cesse, laissant déborder en nos âmes les flots de tendresse infinie qui sont renfermer dans son cœur ». C’est en effet le seul moyen pour que ce don devienne une disposition constante de l’âme. Nous sommes si prompts à réaffirmer notre propre volonté.

C’est une Offrande qui se renouvelle jusqu’au dernier battement de notre cœur, jusqu’à l’entrée dans la Vie. Avec nos Sœurs proches du Face à Face éternel, nous aimons prier cette Offrande et redire avec elles, leur amour à Celui à qui elles ont offert leur vie jusqu’à ce que les ombres s’évanouissent. Elles pourront espérer alors chanter avec Ste Thérèse et tous les Saints les « Miséricordes du Seigneur ».  Ce sont des moments qui nous établissent dans la paix.

                        III.5 Des conseils évangéliques vécus dans le mouvement de l’Acte d’Offrande

Nous nous offrons à l’Amour Miséricordieux pour qu’il consume en nos cœurs le désir de séduire, de posséder, de dominer afin d’accueillir la Sainteté même de Dieu Trinité, et d’en témoigner. Il s’agit sans cesse de « se vider » de soi-même comme le Christ, et entrer dans la volonté de Dieu. Cette offrande nous conduit sur un itinéraire pascal avec le Christ.

C’est tout le sens de l’expression : les « mains vides ». Cette métaphore utilisée par Ste Thérèse n’est pas à entendre comme une pure vacuité ou une déresponsabilisation, mais au contraire, le « vide » dont elle parle est plein de l’énergie et de la détermination que donne l’amour lorsqu’il se confie à Dieu et espère en sa miséricorde.

  1. L’offrande à l’Amour : une dynamique de vie

L’abondance des écrits de Thérèse nous donne des moyens pour entrer en relation avec le Seigneur d’une manière simple et spontanée comme elle, et nous établir peu à peu dans un courageux abandon.

N’oublions pas que la prière pour elle est à tout moment, un élan du cœur, un regard jeté vers le ciel dans la joie comme dans les épreuves.

Chaque jour, nous pouvons ouvrir notre journée et la clore dans cette dynamique de l’offrande :

* L’offrande de la journée 

Au début de la journée, nous pouvons nous mettre en présence de Dieu et sous son regard en partant des désirs de Thérèse ; et pour lui exprimer notre désir, reprendre des mots de son acte d’offrande :

« O mon Dieu Trinité Bienheureuse, je désire vous aimer et vous faire aimer, travailler à la glorification de la sainte Eglise, je désire accomplir parfaitement votre volonté, … mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d’être vous-même ma sainteté … 

Afin de vivre dans un acte de parfait amour, je m’offre comme victime d’holocauste à votre miséricordieux amour… vous suppliant de nous consumer sans cesse laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermer en vous … »

 Je reconnais ainsi cette Présence d’Amour et de tendresse de Dieu qui m’est offerte dès le début du jour et lui demande de m’envahir.

-La Prière 10 de Thérèse nous donne d’autres mots : « Mon Dieu, je vous offre toutes les actions que je vais faire aujourd’hui, … je veux sanctifier les battements de mon cœur, mes pensées, mes œuvres,…»

C’est une manière de s’ouvrir à la grâce de Dieu et de laisser le Seigneur nous désencombrer de nous-mêmes, de nos préoccupations, de nos affects, de nos impatiences, nos ambitions égoïstes.

C’est aussi une manière de reconnaître que Dieu seul détient le dynamisme de la vie, sa fécondité, sa droiture, sa solidité de chaque instant.

*La relecture de sa journée :

-S’ouvrir à ce que le Seigneur m’a donné de vivre et l’accueillir. J’ai désiré vivre dans un acte de parfait amour, pour ce que j’ai reçu, je rends grâce. Je le remets au Seigneur en action de grâce.

Ensuite, s’ouvrir à la miséricorde quand je vois mes incapacités, mes manques d’amour, mes résistances, le décalage entre mes désirs et la réalité et je l’offre à cet amour brûlant et consumant. Je me confie à la miséricorde du Père.

Enfin, s’ouvrir à l’Amour transformant : on est brûlé en vue d’une transformation, d’une résurrection. Les mains vides, je peux envisager demain dans la confiance, en me remettant dans les bras de Jésus qui est toujours attiré vers celui qui se reconnait petit et pauvre pour l’emporter vers le cœur du Père. Ou comme un enfant qui se sait aimé, je m’abandonne en paix dans les bras du Père.

La « prière à Jésus au tabernacle » est aussi une manière de relire sa journée avec les mots même de Thérèse. Une prière structurée à la manière de la prière d’alliance ignatienne. (Pr7) :

« C’est avec bonheur que je reviens près de vous chaque soir, afin de vous remercier des grâces que vous m’avez accordées …
et d’implorer mon pardon pour les fautes que j’ai commises pendant la journée qui vient de s’écouler comme un songe….
et demain, avec le secours de votre grâce, je recommencerai une nouvelle vie dont chaque instant sera un acte d’amour et de renoncement. »

                        CONCLUSION

Une Offrande continue :
L’offrande à l’Amour Miséricordieux n‘est pas une prière ou une dévotion parmi d’autres, un acte de piété.
Elle relève d’une expérience spirituelle qui embrasse toute une vie jusqu’à notre dernier souffle. L’itinéraire du Père Martin, comme celui de Ste Thérèse d’ailleurs, nous montre qu’il s’agit d’un itinéraire, un chemin pour mener une vie d’amour qui trouve son plein accomplissement dans le dernier battement du cœur.

Une Offrande actuelle.

Elle peut sembler d’un autre temps, dans l’ambiance actuelle qui privilégie le bien-être personnel, l’épanouissement de soi, une détox à des fins purement individualistes ou encore une montée en puissance de nos performances.

En réalité, elle est une véritable dynamique de vie, saine, qui nous désintoxique de notre égo toujours prêt à s’imposer, une manière de vivre humblement sous le regard de Dieu-Miséricorde pour mener au quotidien un combat contre le repli sur soi et déployer nos énergies avec audace et courage au-delà de nous-même pour le Bien, le Bon, le Beau. Elle nous ouvre un chemin de libération et de liberté intérieure. 

Une Offrande pour tous

S’offrir à l’Amour Miséricordieux de Dieu n’est pas réservé à un groupe d’élus, encore moins d’élites, mais au contraire, c’est un chemin accessible à tous, une véritable Source d’amour, de grande joie, de fraternité, de persévérance et d’élan missionnaire dès lors que nous nous laissons guider par l’enfant, l’enfant de Dieu pauvre et confiant qui est en nous.

Nous ne pouvons que reprendre la supplication de Thérèse à Jésus pour qu’il continue de choisir une légion de petites âmes qui osent s’offrir en victimes d’holocauste à son Amour Miséricordieux dans une diversité de vocations pour réjouir son cœur.

Sr Laurence Couralet – Colloque à Lisieux – 4 octobre 2024

[1]  Extrait de « Tous missionnaires » page 33

[2] LT 189 Au P. Roulland . 23 Juin 1896

[3] LT 266 A l’abbé Bellière. 25 août 1897

[4]  Extrait de « Tous Missionnaires » page 44

[5] G. MARTIN, Pour aimer le Bon Dieu comme Ste Thérèse de l’Enfant Jésus, Luçon, 1932, p.155.

[6] ibid. 17 juillet  1897

[7] ibid. 18 juillet 1897

[8] P. Martin – Paroles du 04/06/1949

[9] A Mère M. Thérèse de la Miséricorde 31/071926

[10] 1 Co Ch. 13

[11] BENOIT XVI, Deus caritas est, Paris : Cerf, 2006, §13.

[12] P. Martin – Paroles 24/02/1930