Thérèse de l’Enfant-Jésus, Docteur de la Miséricorde infinie s’est laissée façonner par la grâce de l’Incarnation, signe puissant de la Miséricorde de Dieu. 
« Je ne me repens pas de m’être livrée à l’Amour… Oh! non, je ne me repens pas, au contraire… »

A ce sujet, le P.François-Marie LÉTHEL, lors d’une conférence donnée en mai 2016, a fait une analyse très éclairante sur la force spirituelle de l’Offrande de Thérèse.
« Déclarée Docteur de l’Eglise par le saint Pape St Jean-Paul II, la petite Thérèse est le grand Docteur de la Miséricorde pour tout le Peuple de Dieu, et son Offrande à l’Amour Miséricordieux est à la fois le centre et le point culminant de son enseignement », écrit -il.

Il y voit une « Porte sainte »: « L’Offrande à l’Amour Miséricordieux de Thérèse est par excellence la ‘Porte Sainte’, toujours ouverte dans le Cœur de Jésus, pour entrer dans la Profondeur de la Miséricorde Infinie de toute la Trinité. C’est aussi l’indispensable porte d’entrée dans la spiritualité de Thérèse. On n’y entre qu’en faisant personnellement son Offrande ! »

« Je veux renouveler cette offrande à chaque battement de mon cœur »:
Dynamique et déploiement de l’offrande jusqu’à la mort de Thérèse

Les Manuscrits B et C, ainsi que les derniers écrits et les dernières paroles de Thérèse nous montrent comment elle vit et renouvelle continuellement son Offrande à l’Amour Miséricordieux jusqu’au dernier battement de son cœur, jusqu’à l’instant de sa mort, mais toujours avec de nouveaux déploiements, de nouvelles applications, avec cette extraordinaire créativité qui la caractérise.

 Manuscrit B

Ecrit en en septembre 1896, le Manuscrit B est le chef-d’oeuvre de Thérèse. Elle prend alors clairement conscience de l’immensité de sa vocation: Etre l’Amour dans le Cœur de l’Eglise, et proposer son offrande non seulement aux Sœurs de sa communauté mais à toutes les âmes! Dans la lettre d’introduction adressée à sa sœur et marraine Marie du Sacré-Cœur, elle nous montre comment sa propre « confiance audacieuse de devenir une grande sainte » doit devenir la même espérance de la sainteté pour tous les petits qui suivront sa voie: « Ah, si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petites de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour » (Ms B, 1v), c’est à dire au sommet de la sainteté, dans la symbolique de saint Jean de la Croix. Le coeur de ce Manuscrit est la grande prière à Jésus, écrite par Thérèse le 8 septembre 1896, sixième anniversaire de sa Profession. L’âme de cette prière est toujours l’acte d’amour, maintenant étendu à l’Eglise: « O mon Jésus! je t’aime, j’aime l’Eglise ma Mère » (4v). Dans cette prière, Thérèse dilate son Offrande dans les deux dimensions antinomiques de l’Infinie Grandeur de l’Amour « qui renferme toutes le vocations, qui embrasse tous les temps et tous les lieux » (cf 3v) et de l’extrême petitesse de la créature:

Je ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus ! (…) l’Amour m’a choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature… Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour ?… Oui, pour que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu’Il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant… O Jésus, je le sais, l’amour ne se paie que par l’amour, aussi j’ai cherché, j’ai trouvé le moyen de soulager mon cœur en te rendant Amour pour Amour (3v-4r).

Les dernières lignes de cette prière se réfèrent toujours à cette même offrande, mais à présent étendue à toute la multitude des « petites âmes », c’est-à-dire de tous ceux et de toutes celles qui suivront ce chemin de la petitesse évangélique:

O Jésus ! que ne puis-je dire à toutes les petites âmes combien ta condescendance est ineffable… je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie. Mais pourquoi désirer communiquer tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-ce pas toi seul qui me les a enseignés et ne peux-tu pas les révéler à d’autres ?… Oui je le sais, et je te conjure de le faire, je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes… Je te supplie de choisir une légion de petites victimes dignes de ton amour ! (5v).

En rappelant que ces lignes sont écrites le 8 septembre, en la fête de la Nativité de Marie, on peut rappeler l’insistance de Thérèse sur la petitesse de Marie. Racontant sa Profession dans le Manuscrit A, elle écrivait:  « Quelle belle fête que la nativité de Marie pour devenir l’épouse de Jésus ! C’était la petite Ste Vierge d’un jour qui présentait sa petite fleur au petit Jésus » (Ms A, 77r). Mais surtout, dans sa dernière poésie Pourquoi je t’aime, ô Marie! (PN 54), elle met en lumière la petitesse de Marie comme son plus grand privilège pendant sa vie sur la terre. Marie est cette âme encore plus petite que Thérèse, encore plus comblée de grâce, encore plus abandonnée avec une entière confiance en la miséricorde infinie!

 Manuscrit C

Dans le Manuscrit C, écrit en juin 1897, Thérèse écrit la date du 9 juin, deuxième anniversaire de son Offrande, comme point final du récit dramatique de sa grande épreuve contre la foi (Ms C, 5r-7v). Comme Marie près de la Croix, Thérèse vit ce que Jean-Paul II a appelé la kénose de la foi (Redemptoris Mater, n. 18), non pas le doute ou le manque de foi, mais au contraire la foi la plus héroïque et la plus éprouvée. Selon les paroles de Thérèse, c’est Jésus lui-même qui lui fait découvrir le drame de l’athéisme moderne: « Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres » (5v). Devenant la sœur de tous les athées qu’elle même appelle « ses frères », acceptant d’être assise à leur « table remplie d’amertume », elle intercède pour leur salut comme elle l’avait fait pour Pranzini, avec la même confiance, mais c’est à présent avec la nuance de l’Amour Fraternel qui est la « corde » dominante du Manuscrit C (en résonance avec les trois autres « cordes » de l’amour sponsal, maternel et filial). Toujours fidèle à son grand désir de « sauver les âmes qui sont sur la terre », elle rejoint maintenant celles qui sont apparemment les plus lointaines.

Dans les dernières pages du Manuscrit C, Thérèse commente un texte de l’Ecriture Sainte: les paroles que l’Epouse adresse à son Epoux au début du Cantique des Cantiques: « Attire-moi, nous courrons à l’odeur de tes parfums » (Ct 1, 4). Cette nouvelle synthèse du « moi » et du « nous » unifie et déploie de façon merveilleuse le double désir de sainteté personnelle et de salut universel qui était exprimé au début de l’Acte d’Offrande. On retrouve à présent les deux grands symboles de l’eau et du feu.

Lorsqu’elle racontait son Offrande, Thérèse parlait de ces « fleuves, ou plutôt de ces océans de grâce qui sont venus inonder son âme ». Maintenant, elle évoque avec puissance le mouvement de retour de cette même eau vive de l’Esprit-Saint: « De même qu’un torrent, se jetant avec impétuosité dans l’océan, entraîne après lui tout ce qu’il a rencontré sur son passage, de même, ô mon Jésus, l’âme qui se plonge dans l’océan sans rivage de votre amour, attire avec elle tous les trésors qu’elle possède » (34r). Dans le cœur de Thérèse, la grâce du baptême est devenue ce torrent puissant et impétueux qui entraîne la multitude des âmes dans l’océan de l’Amour de Jésus, et c’est alors que Thérèse ose s’approprier la grande Prière Sacerdotale de Jésus en Jean 17. Par Lui, avec Lui et en Lui, vivant en plénitude son sacerdoce baptismal, elle remonte à la Source Première qui est le Père.
Thérèse commente ensuite les mêmes paroles de l’Epouse en utilisant l’autre grand symbole de l’Esprit-Saint, celui du feu, le feu de la Pentecôte, le feu de l’holocauste. Elle retrouve spontanément le grand symbole de la divinisation utilisé par les Pères de l’Eglise, celui du fer rendu incandescent par le feu:
Voici ma prière, je demande à Jésus de m’attirer dans les flammes de son amour, de m’unir si étroitement à Lui, qu’Il vive et agisse en moi. Je sens que plus le feu de l’amour embrasera mon cœur, plus je dirai : 

Attirez-moi, plus les âmes qui s’approcheront de moi (pauvre petit débris de fer inutile, si je m’éloignais du brasier divin), plus ces âmes courront avec vitesse à l’odeur des parfums du Bien-Aimé, car une âme embrasée d’amour ne peut rester inactive (…). Tous les saints l’ont compris et plus particulièrement peut-être ceux qui remplirent l’univers de l’illumination de la doctrine évangélique. N’est-ce point dans l’oraison que les StsPaul, Augustin, Jean de la Croix, Thomas d’Aquin, François, Dominique et tant d’autres illustres Amis de Dieu ont puisé cette science Divine qui ravit les plus grands génies ?
Un savant a dit : “ Donnez-moi un levier, un point d’appui, et je soulèverai le monde. ” Ce qu’Archimède n’a pu obtenir, parce que sa demande ne s’adressait point à Dieu et qu’elle n’était faite qu’au point de vue matériel, les Saints l’ont obtenu dans toute sa plénitude. Le Tout-Puissant leur a donné pour point d’appui : lui-même et lui seul ; pour levier : L’oraison, qui embrase d’un feu d’amour, et c’est ainsi qu’ils ont soulevé le monde ; c’est ainsi que les Saints encore militants le soulèvent et que, jusqu’à la fin du monde, les Saints à venir le soulèveront aussi (36rv).

Docteur de l’Eglise, Thérèse se retrouve spontanément en compagnie des plus grands Docteurs: Augustin, Thomas d’Aquin[1] et Jean de la Croix, témoins de cette même « science divine » qui est la théologie des saints. En nommant Saint Paul, elle rappelait sa source biblique, mais c’est avec l’Evangile qu’elle met le point final à son Manuscrit:

Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le Saint Évangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir… Ce n’est pas à la première place, mais à la dernière que je m’élance ; au lieu de m’avancer avec le pharisien, je répète, remplie de confiance, l’humble prière du publicain ; mais surtout j’imite la conduite de Madeleine, son étonnante ou plutôt son amoureuse audace[2] qui charme le Cœur de Jésus, séduit le mien. Oui je le sens, quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui. Ce n’est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde, a préservé mon âme du péché mortel que je m’élève à Lui par la confiance et l’amour (36v-37r).

Tels sont les deux derniers mots du Manuscrit C: « La confiance et l’amour », c’est-à-dire la confiance qui seule conduit à l’amour. Ce sont comme les deux « phares » qui éclairent toute la vie de Thérèse, son chemin de sainteté qu’elle enseigne à tout le Peuple de Dieu. Son étonnante conscience d’avoir été préservée du péché grave ne l’éloigne pas des plus grands pécheurs, bien au contraire. Elle sait que le plus grand pécheur peut encore devenir un grand saint, même au dernier moment, comme le Bon Larron de l’Evangile, comme cette « pécheresse morte d’amour » dont elle voulait ajouter l’histoire à la suite de son Manuscrit (et plus tard Jacques Fesch).   L’Offrande à l’Amour Miséricordieux est pour eux tous, cette offrande qui consiste à « se jeter dans les bras de Jésus et à accepter son Amour Infini ».

Dernière Lettre et derniers mots

La toute dernière Lettre de Thérèse tient en ces simples mots écrits pour Maurice Bellière sur une image représentant l’Enfant Jésus dans l’Hostie consacrée que le prêtre tient en ses mains: « Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit. Je L’aime, car il n’est qu’Amour et Miséricorde » (LT 266). C’est là comme le testament spirituel de Thérèse, le sceau final de sa doctrine de la Miséricorde Infinie et de l’Amour Miséricordieux, dans l’extrême abaissement et petitesse de Dieu, dans les Mystères de la Crèche, de la Croix et de l’Eucharistie.

Enfin, le jour de sa mort, le 30 septembre 1897, Thérèse a voulu une dernière fois confirmer son offrande en affirmant:

Je ne me repens pas de m’être livrée à l’Amour… Oh! non, je ne me repens pas, au contraire… Jamais, je n’aurais cru qu’il fût possible de tant souffrir! Jamais! Jamais! Je ne m’explique cela que par le désir ardent que j’ai eu de sauver les âmes[3].

Elle voulait renouveler son offrande à chaque battement de son cœur, jusqu’à ce tout dernier acte d’Amour: « Mon Dieu, je vous aime! »

NOTES

[1] Thérèse n’a pas lu la Somme Théologique, mais il y a une harmonie profonde entre sa théologie et celle de St Thomas, par exemple sur la question si contestée aujourd’hui de la vision béatifique dans l’âme de Jésus pendant sa vie terrestre. Thérèse a la certitude que Jésus la connaissait et l’aimait personnellement dans les Mystères de son Enfance comme dans sa Passion et pendant toute sa vie sur la terre, ce qui n’est possible que grâce à la Vision béatifique.

[2] La même expression se trouve dans la lettre de Thérèse à son frère spirituel Maurice Bellière, écrite le 21 juin 1897, exactement contemporaine du Manuscrit C : « Vous aimez saint Augustin, sainte Madeleine, ces âmes auxquelles « beaucoup de péchés ont été remis parce qu’elles ont beaucoup aimé ». Moi aussi je les aime, j’aime leur repentir, et surtout… leur amoureuse audace ! Lorsque je vois Madeleine s’avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu’elle touche pour la première fois ; je sens que son cœur a compris les abîmes d’amour et de miséricorde du Cœur de Jésus, et que toute pécheresse qu’elle est ce Cœur d’amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l’élever jusqu’aux plus hauts sommes de la contemplation. Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu’il m’a été donné de comprendre aussi l’amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu’il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m’humilie, me porte à ne jamais m’appuyer sur ma force qui n’est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d’amour. Comment lorsqu’on jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de l’Amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour ? »(LT 247).

 [3] Derniers Entretiens, Carnet Jaune (30 septembre). Le texte, écrit par Mère Agnès, emploie l’expression « sauver des âmes », expression normale de l’époque. Je pense qu’il convient de corriger le texte avec l’expression typique de Thérèse: « sauver les âmes ».